La naissance du design

Il est de ces pièces qui ont dessiné les contours du design. Et parmi elles, il en est qui sont à la genèse même de la discipline. Prenons par exemple la chaise n°14, aujourd’hui mondialement connue comme LA chaise de bistrot.

La naissance du design kit Thonet n°14

Cette chaise, nous la devons à Michael Thonet. Ce menuisier-ébéniste allemand exporte ses talents à la cour de l’empereur autrichien Ferdinand 1er, où il est notamment chargé de l’ameublement des Palais Liechtenstein et Schwarzenberg, deux palais baroques de la noblesse locale.
Alors spécialiste des imposants meubles Biedermeier, Michael Thonet reçoit une commande qui va à l’encontre de ce qui se fait en 1849 : Anna Daum, la tenancière du café Daum, une place réputée du paysage viennois du XIXe siècle, souhaite une chaise à la fois pratique, élégante, robuste et peu encombrante pour fournir son commerce. De cette commande naît une pièce dont le dossier et les pieds arrière sont d’un seul tenant, dont la galette arrondie est cannée et dont les pieds antérieurs sont rapportés.

Yinka Llori
Yinka Llori

Durant la décennie suivante, Michael Thonet parfait son prototype pour aboutir en 1859 à la chaise de café n°14, telle que nous la connaissons aujourd’hui : une chaise en bois de hêtre courbé de 84 cm de haut, dont la hauteur de l’assise, fabriquée en fils d’osier pelés de palmier à rotin, est de 46 cm et son diamètre de 40,5 cm. 

Le succès est quasi-immédiat. En moins de 30 ans, la Consumsessel Nr. 14, comme l’a originellement nommée son créateur, s’impose comme la chaise incontournable des cafés en vogue du Vienne et de l’Europe de la Belle Époque. Sa renommée dépasse même les murs des bistros puisqu’elle se fait une place dans les décors des tableaux des grands maîtres comme Au Moulin Rouge (1892) de Toulouse-Lautrec, ou plus tard encore dans les décors de la comédie burlesque Charlot garçon de bar (1914) avec Charlie Chaplin.

Pablo Reinoso honeteando
Pablo Reinoso honeteando

Imitée mais jamais égalée, les artistes de tous horizons ne cessent depuis de s’en inspirer : l’artiste franco-argentin Pablo Reinoso la déforme et la décompose dans le cadre de sa série “Thoneteando” ; le designer italien Andrea Salvetti la colore, la couvre de plâtre et d’adhésif et la pare même d’accoudoirs pour “Re-Thonet 14” ; quant au designer anglais Yinka Ilori, il la revêt de couleurs avec du wax.

Si la chaise n°14 meuble aussi rapidement les cafés et troquets des quatre coins de l’Europe, c’est car sa méthode de fabrication lui permet d’être produite en série. Une première ! Michael Thonet a recours au cintrage de bois massif, une technique dont il est à l’origine. Le bois de hêtre, brut, est usiné afin d’obtenir une barre, puis il est étuvé dans une cuve à vapeur pendant six heures. À la sortie de son “bain”, le bois présente des propriétés extrêmement élastiques qui lui permettent d’être cintré - en trois minutes - sur le moule spécifiquement prévu à cet effet. Il est ensuite placé dans une chambre de séchage pendant deux jours, avant d’être poli. Ce procédé, qui repose sur la division du travail, permet donc de produire en grand nombre. Les chiffres font état de quelque 50 millions d’exemplaires reproduits jusqu’en 1930. Cette invention permet aussi d’économiser la matière première, puisqu’elle limite les chutes et les découpes de bois.

andrea-salvetti Re-Thonet
andrea-salvetti Re-Thonet

Michael Thonet pousse l’innovation à son paroxysme et imagine la livraison en kit, avec une boîte d’un mètre cube pouvant contenir jusqu’à 36 chaises à monter. De quoi réduire drastiquement les coûts d’expédition.

 

Le “designer”, comme semblait aimer l’appeler le prince Metternich, alors chancelier de l’Empire autrichien, propose une donc une chaise facile à monter, facile à exporter et peu chère. Après tout, je vous parle ici d’une chaise qui reposait sur le principe d’ “une idée, six éléments, deux écrous et dix vis”,et que ses contemporains surnommaient la “chaise à 3 sous” - moins chère qu’une bouteille de vin rendez-vous compte ! Un brin paradoxal puisque cette chaise, désormais icône, se vend à 800 €… au bas mot.

Chaise Thonet n°14
Chaise Thonet n°14

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